Éloge d’un dimanche matin paresseux

Mon beau chat noir se prélassant dans la couette

J’ignore ce qui m’a tirée du sommeil, ce dimanche-là, un peu avant 9h. J’ai beau être un oiseau de nuit et une adepte de la grasse matinée – la vraie, celle qui s’étire presque jusqu’à midi – 9h c’est une heure très acceptable pour démarrer la journée.

Un autre dimanche j’aurais d’ailleurs sûrement profité de ce réveil plus matinal que d’habitude pour me préparer un café, faire un peu d’aquarelle ou bouquiner dans mon canapé en attendant que mon mari n’émerge à son tour.

Mais voilà, ce dimanche-là, peut-être à cause de l’accumulation de fatigue que je traîne depuis plusieurs mois, je n’avais qu’une seule envie: retourner me coucher, me blottir dans l’épaisseur de ma couette, dormir encore et encore. J’ai le privilège de pouvoir le faire; je n’ai pas d’enfant et rarement d’obligations les week-ends. La plupart des dimanches, j’ai le droit de disparaître du monde si ça me chante, de rester cloîtrée chez moi, de ne voir personne d’autre que mon mari et nos chats, de passer la journée en pyjama. Ou de dormir jusqu’à pas d’heure.

Je suis donc retournée me coucher, me suis blottie dans l’épaisseur de ma couette, et j’ai attendu le retour du sommeil – qui n’a évidemment pas voulu revenir. Qu’importe, j’étais bien, juste là, le cerveau encore un peu brumeux, à écouter les oiseaux chanter, les bruits indistincts du dehors, et ma petite rousse qui ronronnait à côté de mon oreille. Il faisait encore frais malgré le soleil qui chauffait notre store en métal. Par moment, mon mari se tournait vers moi et j’allais coller mon visage tout près du sien. C’était un moment doux et agréable, je sentais qu’il m’était profondément bénéfique.

Et pourtant il y avait cette petite voix, quelque part dans ma tête, qui essayait de me rappeler à l’ordre. Qui me murmurait que j’aurais pu être en train de lire un livre passionnant, de préparer le petit déjeuner, de faire quelques exercices d’aquarelle ou une séance de yoga, de traiter des photos pour le blog, de lancer une lessive. Au lieu de ça, je n’avais même pas le bon goût de me rendormir, je restais juste là à rêvasser, à écouter le silence et à regarder les zébrures de soleil au plafond. Je me sentais vaguement coupable, et en même temps c’était tellement bien.

Les jours suivants, j’ai repensé à ce sentiment de culpabilité, à cette impression qu’il était tout à fait inacceptable de gaspiller ainsi mon temps, ne serait-ce que deux minuscules heures un dimanche matin, à ne rien faire. Le hasard a voulu qu’un passage de ma lecture en cours – Chez soi de Mona Chollet, que je recommande un millier de fois – fasse écho à mes réflexions. L’autrice y parle justement de la place que nous accordons à notre sommeil et au repos de manière plus large, et des attaques du capitalisme contre l’audace que représentent ces heures de totale improductivité.

Longtemps avant l’invention de concepts à la noix tels que le miracle morning, on nous disait que « le monde appartient à ceux qui se lève tôt » – soyons honnête: quand je me lève tôt, j’ai bien trop la tête dans les fesses pour que le monde semble m’appartenir. Dans notre société, on se félicite d’être hyperactif, on en fait une fierté. On valorise les personnes dont l’organisation irréprochable leur permet de faire tenir un maximum d’activités dans une seule petite journée. On court dans tous les sens, on est débordé∙e∙s, mais on se réjouit aussi de tout ce qu’on a réussi à cocher sur notre interminable to-do-list. Une sieste rapide est éventuellement tolérée en début d’après-midi, parce qu’elle a davantage vocation à stimuler notre productivité qu’à vraiment nous reposer. À l’opposé, les gros dormeurs, les personnes qui aiment se lever tard, faire de vraies siestes ou enchaîner les épisodes de leur série préférée pendant une après-midi entière, sont traités de fainéants, de paresseux. On considère le temps consacré au repos comme du temps perdu et on en vient à envier ceux et celles qui affirment n’avoir besoin que de peu d’heures de sommeil par nuit.

Entre deux sessions de production ou de consommation, l’être humain éprouve le besoin de reconstituer ses forces et, pour cela, son organisme a le culot de requérir le chiffre exorbitant de sept ou huit heures de repos par nuit. Imaginez le gain de compétitivité pour notre économie si l’on réussissait à lever cet obstacle physiologique…

– Mona Chollet, Chez soi

Mon beau chat noir se prélassant dans la couette

Deux heures plus tard, nous nous sommes levés tranquillement, avons pris le temps de préparer du café et de poêler des röstis pour le déjeuner-dîner. J’ai consacré une partie de mon après-midi à faire des expérimentations de linogravure, ma lubie créative du moment, avant que nous ne sortions profiter de la lumière chaude de la fin d’après-midi pour une jolie balade dans la forêt. Nous avons même réussi à faire une lessive, ouf, et à nous sentir satisfaits, au final, de cette journée plutôt bien remplie selon nos critères personnels.

Mais ces deux heures de paresse d’un dimanche matin, ces deux petites heures-là, j’en viens à les considérer comme une victoire sur moi-même, un pied de nez aux discours productivistes que j’ai intégrés bien malgré moi. Pendant deux heures, je n’ai rien fait, je n’ai rien produit; j’ai juste profité de l’instant, me suis imprégnée des sons, des odeurs, et laissé mon esprit vagabonder entre les restes de rêves et les pensées fugaces qui le traversait. J’ai repris des forces. Et c’était, sans aucun doute, pile ce dont j’avais besoin.

11 commentaires

  1. Mithrowen

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    ooh ce chat…qu’il est beau! Sinon, très beau texte. C’est essentiel de se rappeler de ce genre de chose à l’heure où y’a des phénomènes de mode, du style « miracle morning » où on te pousse à te lever à 5h du mat’ pour faire encore plus de trucs dans la journée…ça me rend folle! Je n’ai pas encore lu Chez soi de Mona Chollet , seulement Beauté fatale, mais il est dans la wishlist!

    1. Aline

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      Merci beaucoup pour ton commentaire !

      Aaaaaargh le miracle morning… Je crois que ce qui m’horripile le plus dans ce concept tient dans son nom, le côté « solution miracle », cette promesse que se lever à 5h du matin va régler tous tes problèmes d’organisation – et que ça marche pour tout le monde. Tant mieux si ça fonctionne pour certaines personnes, mais il y a quelque chose de super culpabilisant quand tu galères déjà à te lever à 6h30 et qu’on te fait comprendre que c’est juste un manque de volonté. Et le fait d’encourager les gens à sacrifier notre sommeil pour faire plus de choses, alors qu’on ne dort déjà pas assez, pfffff…

      Chez soi est une lecture vraiment passionnante, j’aime énormément la manière dont Mona Chollet aborde plein de thématiques différentes – dont certaines ont des enjeux très politiques et sociétaux – à partir de son sujet central du foyer. Ses écrits sont une immense révélation pour moi (j’ai ADORÉ « Sorcières »). Beauté fatale est dans ma pile « à lire très prochainement »

  2. Maud

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    Alors le chat est magnifique (c est le tien???)…. Bon pour ce qui est de la productivité que tout le monde félicite j étais comme ça avant, un stress post traumatique plus tard je vois les choses différemment, un peu mais pas assez, je me fous en rogne quand je n’arrive pas à faire ce que j’aurais voulu faire mais mon corps mon esprit hurlent au secours pour que je me repose, que je prenne un peu de temps pour moi alors comme je suis arrêtée un peu ben je fais au milieu de mes angoisses, de mes luttes envers ce moi même que je ne reconnais pas. J’aimerais juste me sentir bien et profiter, pas que ce soit une obligation dictée par mon corps juste une envie, un désir..

    1. Aline

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      Ouiiiiii c’est mon gros Renoir chéri <3 (qui est expert dans l'art de ne rien faire sans aucune culpabilité, on devrait clairement s'inspirer davantage des chats !)

      Merci beaucoup d'avoir pris le temps de partager un peu de ton expérience. On est tellement conditionné·e·s à vouloir en faire le plus possible, à vouloir remplir tous les moments de libre de nos journées… c'est terrible, ça devient vraiment compliqué d'apprendre à lâcher prise, à accepter qu'on ne peut pas (plus) tout faire, être sur tous les fronts. Je te souhaite de réussir à trouver un équilibre qui te convienne.

  3. Pêche & Églantine

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    Je dois avouer que je suis une lève tôt, depuis toujours, c’est le matin où je suis bien, heureuse et pleine d’énergie.
    Par contre le sentiment de culpabilité que tu évoques, je le connais à merveille, le côtoie au quotidien et travaille dur pour essayer de lui échapper, ce qui est loin d’être aisé…
    Mais petit pas par petit pas j’apprends à relativiser et respirer !

    Bisous, Pêche

    1. Aline

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      Merci beaucoup pour ton petit mot (et désolée pour la réponse tardive à ton commentaire) !

      Non ce n’est vraiment pas facile de se défaire de la culpabilité de ne pas en faire assez… Je pense qu’en prendre conscience c’est déjà une grosse étape ! Et aussi apprendre à connaître le rythme qui nous convient le mieux, accepter nos limites et identifier ce qui est le plus important pour nous. Personnellement je sais qu’au final je me sens mieux quand je réussi à lâcher un peu de leste et à relativiser.

      Bisous à toi 🙂

  4. Virginie

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    Coucou 🙂
    Oui, notre société fait l’éloge de la productivité et non de ce qui est considéré comme de la paresse. Et pourtant, ces moments font tellement du bien et deviennent nécessaires dans nos vies si actives. Comme toi, je donne parfois un gros coup de pied à ma mauvaise conscience pour « m’autoriser » à glander (comme on dit chez nous :-)).
    Bisous
    Virginie

    1. Aline

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      Je pense également que ces moments de décompression et de lâcher prise sont indispensables. Et puis on ne fonctionne pas tous de la même manière, j’admire sincèrement les personnes qui ont l’énergie de faire plein d’activités, de militer dans des associations, de faire du bénévolat, de s’engager en politique, en plus de leurs études, de leur boulot, de leur famille. Moi j’arrive au bout de ma journée de travail et je suis déjà vidée. Mais ce n’est pas simple non plus d’accepter nos propres limites.

  5. Promenade Minimaliste

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    Bel article 😉
    Tu m’as donné envie de lire ce livre de Mona Chollet.

    1. Aline

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      J’espère qu’il te plaira !
      Merci pour ton petit mot 🙂

  6. Tina

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    Tu as profité de ta matinée « en pleine conscience » d’après ce terme à la mode. Et je dois dire que je t’enviiiiiiiieeeee tellement. J’adore glander aussi, malheureusement avec des enfants en bas âge, les occasions sont rares et la culpabilité toute proche comme tu l’expliques si bien. Arrêtons cette folle course au toujours plus et concentrons-nous sur l’essentiel. Ce qui est essentiel pour nous et non pour les autres. Et pour moi trainer au lit ou regarder plusieurs épisodes d’affilée avec mon chéri en fait clairement partie 🙂 Je vais aller jeter un coup d’oeil à ce livre. Merci! ps: toujours aussi admirative de tes belles photos!

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