Voici mon petit bilan lecture de ces trois derniers mois, avec au programme : deux romans pas franchement joyeux – un qui traite de la mort d’une adolescente, l’autre de la vie d’une famille afro-américaine entre les années 20 et les années 80 – des bandes dessinées militantes, deux lectures d’été rapides qui ne resteront pas gravées dans ma mémoire, un best-seller inachevé, et une « relecture » sous forme de livre audio.
Il y a plusieurs années, j’avais écouté tous les Harry Potter sous forme audio dans leur version originale – lus par Stephen Fry, un délice – mais compte tenu du prix des livres audio à l’achat, je n’avais jamais renouvelé l’expérience. Et puis ce printemps, mon mari a eu envie de tester Audible (j’admire l’efficacité de leur campagne marketing à peu près autant que je déteste l’idée de donner mon argent à Amazon…), il a été plutôt convaincu, et j’ai profité du fait qu’il avait du retard dans les téléchargements disponibles avec son abonnement pour me prendre L’Ombre du Vent, un de mes livres préférés que j’avais très envie de relire. Deux conclusions à cette expérience : 1) les livres audio, c’est vraiment cool, j’ai profité de l’écouter à des moments où je ne peux pas forcément lire (en faisant le ménage, pendant certains trajets en train) et ça m’a beaucoup plu ; et 2) relire nos livres préférés d’il y a 10 ans n’est pas forcément une excellente idée…
Tout ce qu’on ne s’est jamais dit Celeste NG
Lydia Lee, 16 ans, est morte. Ce matin de mai 1977, sa famille ne le sait pas encore tandis que chaque membre se prépare pour une journée qui bouleversera leur vie : James, le père de Lydia, fils d’immigrés Chinois, qui lutte depuis l’enfance pour s’intégrer et se sentir à sa place dans une société qui le voit tantôt comme une curiosité, tantôt comme une menace ; Marylin, sa mère, femme au foyer qui a dû renoncer à de prometteuses études de médecine pour s’occuper de sa famille et projette sur sa fille ses aspirations professionnelles brisées ; Nath, son frère aîné et unique allié, le fils jamais assez bien, jamais assez conciliant pour leurs parents qui n’ont d’yeux que pour Lydia ; Hannah, sa petite sœur, dont tous ont tendance à oublier jusqu’à l’existence mais qui voit tout, entend tout et comprend tout au sein de cette famille en apparence parfaite et soudée.
Ce matin de mai 1977, dans une petite ville des États-Unis, le corps de Lydia gît au fond d’un lac, à quelques minutes de chez elle, lesté par les rêves que ses parents ont transférés sur elle, par le poids de la société et des injonctions. Suicide, meurtre, accident ? Que s’est-il passé ? Qui est responsable ?
Je m’attendais à un polar, et en fait pas du tout. La cause de la mort de Lydia est finalement assez secondaire – même si, comme dans un polar, elle n’est dévoilée qu’à la fin et que j’ai passé tout le roman à m’interroger à ce sujet. Ce que Celeste Ng explore, ce sont les mécanismes qui ont amené la famille Lee à ce tragique matin, et qui influenceront leur manière de faire face à la disparition de leur fille et sœur chérie. On voyage dans l’histoire des différents membres de la famille, depuis la rencontre de James et Marylin à la fin des années 50, et jusqu’au quelques mois qui suivent la mort de Lydia.
J’ai trouvé l’écriture des personnages et des relations qui les lient est très fine, complexe et subtile. À force de non-dits, pour faire plaisir, pour ne pas blesser, on voit s’installer entre eux des dysfonctionnements, des regrets et des frustration qui ne font que s’amplifier au fil des années. Il n’y a aucune révélation choquante, aucun secret familial profondément enterré, mais une succession de gestes et de phrases du quotidien, d’erreurs d’interprétation, de petits mensonges en apparence innocents. J’ai eu souvent la gorge nouée et les larmes aux yeux, l’envie de secouer les différents personnages, chacun leur tour, de leur crier dessus avant de vouloir les prendre dans mes bras pour les réconforter. C’était une lecture très triste, très forte émotionnellement, que je ne suis pas prête d’oublier
J’ai également beaucoup apprécié le style de l’autrice, le naturel et la fluidité avec lesquels elle passe du point de vue d’un personnage à une autre, pour donner la parole à chacun d’eux.
Les douze tribus d’Hattie Ayana Mathis
À 15 ans, au début des années 20, Hattie quitte la Géorgie ségrégationniste où son père vient d’être victime d’un meurtre raciste. Avec sa mère et ses sœurs, elle s’installe à Philadelphie, où elle aspire à un nouvelle vie, plus libre et plus heureuse. Peu après, elle épouse August, son amour d’enfance, et donne naissance à des jumeaux, les premiers des onze enfants qui naitront de ce mariage. De 1925 au début des années 80, on suit le parcours de cette famille, à travers un épisode de la vie de chacun d’entre eux. Des vies marquées par la pauvreté et les désillusions, par les blessures auxquelles Hattie espérait échapper en fuyant la Géorgie, et par la dureté de cette mère qui lutte pour la survie de ses enfants sans parvenir à leur donner la tendresse dont ils ont besoin.
Le hasard a voulu que je lise ce roman juste après No Home, qui est construit sur un principe similaire : chaque chapitre est centré sur un nouveau personnage, ici au sein d’une large fratrie. Malheureusement, j’ai trouvé le format beaucoup moins bien maîtrisé et ça a rendu ma lecture parfois laborieuse. Les différents chapitres présentent très peu de connexions entre eux ; les événements qui se déroulent dans chaque histoire sont rarement mentionnés par la suite, et les personnages ne font que de brèves apparitions dans les chapitres qui ne leur sont pas consacrés – à l’exception de Hattie et d’August, dont la relation dysfonctionnelle et violente sert de fil rouge au roman. À chaque nouveau chapitre, on fait connaissance avec de nouveaux personnages, de nouvelles thématiques, parfois un nouveau style de narration. Et à peine le rythme pris, les personnages et le contexte apprivoisés, on recommence. Certaines histoires s’achèvent de manière abrupte, je suis souvent restée sur ma faim, j’aurais voulu savoir ce qu’il advient de chacun des enfants d’Hattie après cet unique chapitre qui leur est dédié.
Petite déception donc, qui ne m’a pas empêchée d’apprécier d’autres aspects du roman. En particulier le style de l’autrice, que j’ai trouvé sublime. J’ai été très touchée par sa capacité à nous faire entrer dans la tête de ses personnages, à nous faire partager leurs émotions, leurs espoirs, leurs frustrations. Je ne manquerai pas de garder un œil sur les futures publications d’Ayana Mathis.
Les sentiments du Prince Charles Liv Strömquist
Lors d’une conférence de presse, après ses fiançailles avec Diana, le Prince Charles dut répondre à la question : « Êtes-vous amoureux ? » Il se tut un moment, puis répondit: « Oui… Quel que soit le sens du mot amour ».
Cette anecdote sert de point de départ et de fil rouge à la réflexion que Liv Strömquist livre dans cette bande-dessinée. Qu’est-ce que l’amour, et pourquoi l’amour romantique occupe-t-il une place aussi importante dans notre société ? Quelle est la fonction sociale du couple ? Pourquoi le « droit de propriété » sur le corps de l’autre est devenu une norme admise au sein du couple monogame ? Pourquoi les hommes rejettent-il ce qui est considéré comme féminin ? Pourquoi les femmes recherchent-elles souvent la validation des hommes ?
À partir d’exemples de couples célèbres et issus de la culture populaire, l’autrice s’interroge sur les constructions sociales qui régissent nos relations amoureuses. Elle évoque les schémas genrés et les rapports de domination qui perdurent au sein des couples et des familles hétéronormées, l’influence du patriarcat sur l’éducation des enfants et leur construction en tant qu’individus, les comportements qui en découlent et qu’on pense à tord être innés. Le tout est très bien documenté, Liv Strömquist se réfère à plusieurs études, à des essais de sociologie et de psychologie, ainsi qu’à des sources historiques – autant de sources à fouiller si on souhaite creuser le sujet – qu’elle met en image de manière concise, accessible et souvent très drôle. C’était instructif, cette BD m’a aidée à comprendre l’origine de certains comportements, souvent inconscients, qu’on peut tous observer autour de nous, mais aussi les mécanismes qui amènent à des relations toxiques et qui sont difficiles à comprendre lorsqu’on ne les a pas vécus.
Mention spéciale à l’attribution du titre de « pire petit ami de l’histoire » à Albert Einstein, qui n’a jamais crédité sa femme Mileva Marić – elle aussi physicienne – pour la contribution qu’elle aurait apportée à ses travaux avant leur divorce, et l’a un peu laissée se démerder toute seule pour élever leurs deux fils dont un souffrait de schizophrénie.
Mes autres lectures :
- Le goût du bonheur est plus fort sous la pluie, de Virginie Grimaldi
Pas grand chose à dire sur ce roman dont j’ai certes apprécié la lecture, mais qui m’a laissée un peu indifférente. C’est le deuxième roman de Virginie Grimaldi que je lis, j’avais bien aimé Tu comprendras quand tu seras grande, celui-ci un peu moins. J’ai trouvé l’humour un peu forcé, le style fluide mais pas toujours très naturel, la thématique centrale amenée de manière un peu maladroite. - Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows
Cette lecture m’a causé une énorme frustration. J’ai adoré le contexte du roman, les anecdotes de la vie des habitants de l’île Anglo-Normande de Guernesey qui ont vécu sous occupation allemande, complètement coupés de la Grande-Bretagne, entre 1940 et 1945. Dommage qu’avec une thématique aussi intéressante, on passe autant de temps à lire les questionnements existentiels et amoureux de la protagoniste, que j’ai trouvée par moments vraiment agaçante. J’ai également trouvé le style épistolaire assez étrange, intéressant en ce qui concerne la structure du roman, mais pas franchement bien maîtrisé au niveau de la « voix » des personnages : chacun d’eux s’exprime à l’écrit dans un style similaire, on ne ressent pas du tout leur personnalité dans leurs différentes lettres. - Un autre regard, de Emma
J’ai beaucoup aimé ce petit recueil de notes dessinées de la blogueuse politique Emma. On y parle de luttes sociales, de discriminations à l’encontre des minorités racisées, de violences gynécologiques et obstétriques, de la pression qui repose sur les épaules des femmes en général, et des mères en particulier… - L’Amie prodigieuse, d’Elena Ferrante
Non terminé – Mis en pause au tiers du livre environ, pour l’instant je ne pense pas continuer cette lecture. Le roman est d’une extrême lenteur, il n’y a pas vraiment d’intrigue, ce qui ne me pose pas de problème en soi, à condition que les personnages soient très bien écrits. Mon problème, c’est qu’après plus de 150 pages je n’éprouve de réel intérêt pour aucun d’entre eux, et encore moins pour l’amitié censée unir Lenù et Lila, que je trouve malsaine et caricaturale. Et puis je dois avouer en avoir franchement marre de lire des histoires de relations féminines basées sur l’envie, la rivalité et la compétition permanente. Marre de lire (ou de voir) des personnages féminins se rabaisser et se faire des coups bas au lieu de se soutenir. D’autant plus quand on essaie de nous faire passer ça pour une puissante amitié… Bref, ça ne m’a pas enthousiasmée du tout, et je pense que la vie est trop courte pour terminer des bouquins pas enthousiasmants. - L’Ombre du vent, de Carlos Ruiz Zafon
Relecture, écouté en audiobook – J’ai eu envie de relire L’Ombre du vent, un de mes romans favoris, ainsi que le reste de la saga du Cimetière des livres oubliés, suite à la parution du 4ème et dernier tome. Si j’adore toujours autant la plume de Carlos Ruiz Zafon, l’atmosphère de cette Barcelone sombre et mystérieuse, et si le récit m’a captivée comme à la première lecture, j’ai également été atterrée et passablement déçue par la quantité de stéréotypes sexistes dont le roman est rempli. Je n’en avais aucune conscience lors de ma première lecture il y a une dizaine d’années, et je me rends compte à quel point mon regard sur ces problématiques a évolué depuis. Le roman est entièrement centré sur les personnages masculins, les rares personnages féminins servent principalement d’objets de désir sexuel ou amoureux pour les héros, elle n’ont pas d’aspirations ni même d’histoire propres. J’ai été particulièrement énervée par le comportement du narrateur lorsqu’à 16 ans, il se rend compte que l’inaccessible objet de ses fantasmes d’adolescent – une femme 10 ans plus âgée que lui, qui lui a fait comprendre à plusieurs reprises qu’ils sont amis et c’est tout – a l’audace d’entretenir une relation avec un autre homme que lui. Puisqu’il ne peut pas coucher avec elle, il qualifie six ans d’amitié de « temps perdu ». Très classe, rien à redire, bravo. Il commence également par se montrer odieux avec la jeune femme qu’il décide de courtiser quelques années plus tard, parce qu’elle est déjà fiancée et qu’une fois de plus ça le rend jaloux.
Et vous, vous avez fait de belles lectures cet été ?