Nouveau bilan lecture, un peu plus fourni en réalité que ce que la photo ci-dessus laisse penser. J’ai malgré tout échoué lamentablement à mon challenge 2018 sur Goodreads, l’objectif de 30 livres que je m’étais fixé était de toute évidence un peu ambitieux.
Pour 2019 je l’ai revu à la baisse, mon but avec ce challenge n’est pas vraiment de me « challenger » mais juste de m’encourager à lire (et puis j’aime bien voir la petite barre de progression qui avance). Et même pas forcément à lire plus, juste lire tout court et passer un peu moins de temps à glandouiller sur Internet. Je crois que 24 est un bon objectif pour moi, ça me permet de lire plein de choses différentes tout en restant atteignable.
Je ne ferai pas de bilan global de mes lectures de 2018, vu que j’ai réussi à publier des comptes rendus réguliers au cours de l’année, voici juste quelques chiffres. En 2018, j’ai lu en tout 24 livres, dont:
- 16 romans;
- 5 bandes dessinées;
- 3 essais, 2 traitant de véganisme et un de féminisme;
- 22 livres écrits par des femmes;
- 4 livres de ma liste de 12 ouvrages que je comptais lire pendant l’année – oui c’est carrément raté;
- 2 romans de plus de 700 pages;
- 2 livres non comptabilisés dans le challenge – une « relecture » sous forme de livre audio, et un roman que j’ai abandonné au tiers environ.
Ces trois derniers mois ont été particulièrement riches en lectures marquantes et inspirantes, dont j’avais hâte de vous parler. Mention spéciale à Sorcières de Mona Chollet, que j’ai lu à sa sortie comme un petit mouton, et j’ai carrément bien fait car ce bouquin est une pépite ♥︎
Sorcières Mona Chollet
« En anéantissant parfois des familles entières, en faisant régner la terreur, en réprimant sans pitié certains comportements et certaines pratiques désormais considérées comme intolérables, les chasses aux sorcières on contribué à façonner le monde qui est le nôtre. Si elles n’avaient pas eu lieu, nous vivrions probablement dans des sociétés très différentes. Elles nous en disent beaucoup sur les choix qui ont été faits, sur les voies qui ont été privilégiées et celles qui ont été condamnées. »
Quand on pense aux chasses aux sorcières, on imagine un décor médiéval, l’obscurantisme et le fanatisme religieux, le tout enrobé d’une bonne couche de folklore. On les imagine éloignées de nous, de nos croyances, de nos pratiques. En réalité, les exécutions de personnes accusées de sorcellerie ont eu lieu, en Europe, non pas au Moyen-Âge mais à la Renaissance, entre les 15e et 17e siècles et étaient le fait de tribunaux laïques. Les historien·ne·s estiment aujourd’hui que plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été brûlées ou pendues en 200 ans, en grande majorité des femmes (entre 70 et 80% selon les sources), souvent vieilles, pauvres, isolées. Nombre d’entre elles étaient également des guérisseuses et des sage-femmes, soupçonnées de pratiquer des avortements.
À partir de ces événements historiques, Mona Chollet pose plusieurs questions: quel est l’impact, dans notre société, des chasses aux sorcières de la Renaissance ? Quel héritage la figure de la sorcière nous a-t-elle légué ? Qui étaient ces femmes, que leur reprochait-on réellement, et quels parallèles peut-on faire avec les injonctions qui pèsent sur nous aujourd’hui ? Dans l’histoire des chasses aux sorcières, elle cherche l’origine de la stigmatisation des femmes qui osent sortir du rang, celles qui ont des velléités d’indépendance, les célibataires, celles qui ne veulent pas d’enfants, ou qui décident d’assumer leurs cheveux blancs alors qu’il n’est pas de bon goût pour une femme de vieillir. Elle évoque également la place des femmes dans la médecine moderne, la manière dont les hommes se sont approprié aussi bien les pratiques médicales que le corps de leurs patientes, notamment dans le cas de la grossesse et de l’accouchement – on y apprend par exemple que la position allongée sur le dos pour accoucher n’est pas du tout physiologique et sert avant tout au confort… du médecin.
Sorcières est une des lectures qui m’aura le plus marquée en 2018. J’ai puisé dans les mots de Mona Chollet force et réconfort, ils m’ont permis de mettre des mots sur des ressentis que je ne parvenais pas à verbaliser.
En tant que femme de 35 ans qui ne souhaite pas avoir d’enfants, le chapitre sur les injonctions à la maternité m’a particulièrement touchée et fait un bien fou. On a beau entendre de plus en plus de femmes s’exprimer sur leur non-désir de devenir mère, c’est toujours un choix de vie qui surprend, sur lequel on nous demande de nous expliquer – alors que ça me semble être un choix beaucoup plus rationnel et pragmatique que celui de procréer, mais il faut dire que j’accorde beaucoup de valeur à la qualité de mon sommeil. Parce que même si nous avons la possibilité de nous épanouir en dehors du foyer, que ce soit dans notre métier, nos loisirs, des activités associatives ou grâce à d’autre types de relations humaines, on continue de nous présenter la maternité comme la voie de l’accomplissement et de l’épanouissement ultime pour toute personne équipée d’un utérus.
Sauf qu’à ce discours très édulcoré sur la grossesse et la parentalité – vous savez, le fameux « c’est que du bonheur ! » – viennent se superposer mes nombreuses lectures sur le sujet; les récits d’accouchements où les souhaits de la future maman n’ont pas été respectés, les injonctions à être une mère parfaite, les témoignages de burn-out maternel ou de discriminations professionnelles, les femmes qui s’expriment sur l’augmentation de la charge mentale à la naissance de chaque enfant, ou juste sur la fatigue quotidienne qui s’installe quand tu n’as pas eu une nuit complète depuis trois ans. Il en ressort cette impression un peu amère que dans notre société – cette même société qui glorifie la maternité et pousse les femmes à procréer car nous serions « faites pour ça » – rien n’est en réalité prévu pour faciliter la tâche des mères qui doivent bien souvent mettre en second plan leurs aspirations personnelles pour consacrer leur temps à leur famille. Je ne doute pas que certaines y trouvent leur compte et s’épanouissent dans cette vie-là, et c’est super pour elles. Je sais également que ça ne serait pas mon cas.
J’ai aimé trouver dans le livre de Mona Chollet une autre vision de la maternité, moins idyllique que le discours auquel on est habitué et plus proche de mon propre ressenti. Elle nous parle des sacrifices auxquels de nombreuse femmes doivent consentir pour accomplir leur rôle de mère, des pressions qui pèsent sur leurs épaules (faire un enfant, puis un deuxième, mais pas plus de trois et surtout pas dans un autre cadre que celui du couple hétérosexuel; allaiter son bébé mais pas trop longtemps et pas en public; être bienveillante mais pas laxiste; reprendre le travail mais pas trop quand même, etc etc etc à l’infini), de l’ancrage de la maternité dans la société patriarcale, de la manière dont les hommes au pouvoir se sont longtemps arrogés – et s’arrogent toujours – le droit de contrôler le ventre des femmes à grand renfort de contraception interdite, d’avortement criminalisé, de stérilisations forcées, d’accouchements hyper médicalisés.
Elle nous parle, surtout, de notre droit fondamental à choisir un chemin différent et de la possibilité d’y trouver le bonheur.
Ça m’a fait du bien de lire le point de vue d’une femme plus âgée que moi qui n’a pas voulu avoir d’enfants et semble très satisfaite de ce choix. Le regret, c’est une des ombres qu’on fait planer sur les femmes qui ne désirent pas être mères – ça et « qui s’occupera de toi quand tu seras vieille » – et on me l’a parfois demandé ce fameux « mais tu n’as pas peur de regretter, plus tard, de ne pas avoir eu d’enfants ? ». Mona Chollet évoque très bien l’absurdité de cette question dans le passage que je cite plus bas, et on notera deux choses: 1) personne n’a jamais posé cette question à mon mari; 2) il ne viendrait à personne l’idée de demander à une femme enceinte si elle n’a pas peur de regretter d’avoir eu un enfant. Le fait de mettre des enfants au monde et de les éduquer est à ce point considéré comme la norme et comme « la plus belle chose au monde » (alors qu’on sait tous que la plus belle chose au monde, c’est l’existence des pandas roux) qu’on n’envisage jamais la possibilité qu’une femme puisse regretter d’être devenue mère. Elles existent, pourtant, ces femmes qui ont beau aimer leurs enfants, se sont rendues compte trop tard que la maternité n’était pas faite pour elles. Elles existent mais elles sont invisibles, cachées derrière un tabou encore plus grand que celui de ne pas vouloir d’enfants: en avoir eu, les avoir peut-être désirés, et ne pas trouver dans le rôle de mère l’épanouissement qu’on leur avait promis.
Sorcières donne la parole à ces femmes-là, à celles qui ont pris un chemin de traverse, à celles qui aspirent à autre chose qu’aux modèles qu’on nous présente habituellement. C’est un livre nécessaire et déculpabilisant, qui fait l’éloge d’une féminité rarement mise en avant dans notre société. Des femmes indépendantes, fortes, libres, qui ont le droit de vieillir et de s’affranchir des codes et des normes assimilées à notre genre.
J’ai évoqué principalement le chapitre sur la (non-)maternité, mais j’ai trouvé les autres tout aussi passionnants, inspirants, éclairants. La plume de Mona Chollet est très agréable à lire, intelligente, précise, souvent très drôle. Elle mêle de manière parfaitement fluide ses réflexions et expériences personnelles à des témoignages et des références historiques très bien documentées. Je suis ressortie de cette lecture avec l’envie de m’y replonger aussitôt (à la place, je me suis plutôt fait offrir pour mon anniversaire Chez soi et Beauté fatale, deux autres essais écrits par Mona Chollet qui m’ont l’air tout aussi intéressants), mais surtout avec l’envie de bien envoyer se faire voir ceux et celles qui auraient un problème avec mes choix de vie et mes cheveux blancs (d’ailleurs, je vous en reparlerai, de mes cheveux blancs).
Après des siècles où les hommes de science ou de religion, les médecins, les hommes politiques, les philosophes, les écrivains, les artistes, les révolutionnaires, les amuseurs publics ont martelé sur tous les tons la bêtise congénitale des femmes, en les justifiant au besoin par les plus folles élucubrations sur les défaillances de leur anatomie, il serait très étonnant que nous ne nous sentions pas légèrement inhibées.
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Mimer éternellement l’impuissance et la vulnérabilité de l’extrême jeunesse permet de montrer patte blanche dans une société qui condamne les femmes sûres d’elles ; mais cela oblige à se priver de l’essentiel de sa puissance et de son plaisir de vivre.
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Il reste que, face aux femmes volontairement sans descendance, on brandit toujours cette menace: « Un jour, tu le regretteras ! » Cela traduit un raisonnement très étrange. Peut-on se forcer à faire quelque chose qu’on n’a aucune envie de faire uniquement pour prévenir un hypothétique regret situé dans un avenir lointain ? Cet argument ramène les personnes concernées précisément à la logique que nombre d’entre elles cherchent à fuir, cette logique de prévoyance à laquelle incite la présence d’un enfant et qui peut dévorer le présent dans l’espoir d’assurer l’avenir: prendre un crédit, se tuer au travail, se soucier du patrimoine qu’on lui léguera, de la façon dont on paiera ses études…
The Hate U Give – La haine qu’on donne Angie Thomas
Starr, 16 ans, est une jeune Afro-Américaine qui vit avec sa famille dans un quartier pauvre, peuplé principalement de personnes noires, où le quotidien est rythmé par les affrontements entre deux gangs rivaux et les descentes de police. Chaque jour, elle et ses deux frères se rendent au lycée dans une banlieue chic, où la majorité des élèves viennent de familles blanches et aisées. Entre ces deux mondes, ces deux versions d’elle-même, c’est le grand écart permanent, un équilibre fragile qu’elle s’efforce de maintenir sans parvenir à trouver réellement sa place nulle part. Jusqu’à ce soir maudit où au retour d’une soirée, elle assiste au meurtre de Khalil, son ami d’enfance, tué de trois balles dans le dos par un policier blanc.
Seule témoin, Starr se retrouve tiraillée entre son deuil, la colère qu’elle ressent suite à ce crime que les autorités cherchent à étouffer, sa volonté de justice et la crainte des répercutions pour elle et sa famille.
Le roman est écrit à la première personne, au présent, ce qui permet une plongée et une immersion totale dans le quotidien de Starr, dans ses pensées, ses peurs, sa révolte. Le langage utilisé, celui d’une adolescente américaine noire qui a grandi dans un quartier défavorisé, m’a un peu déstabilisée dans un premier temps, mais il contribue en réalité à la force du roman et au travail psychologique très fin grâce auquel l’autrice construit ses personnages.
À travers le regard de Starr, Angie Thomas évoque de manière frontale les injustices que subissent, chaque jour, de nombreuses personnes noires dans les sociétés occidentales. Le racisme ordinaire avec son lot de « blagues » qui perpétuent les oppressions, les préjugés au nom desquels un jeune Noir est forcément un voyou, le déséquilibre entre ceux qui ont le pouvoir et ceux à qui on le confisque. Mais elle parle aussi, et peut-être surtout, de l’esprit de communauté et d’entraide qui peut naître de la précarité, de l’engagement de certaines personnes pour faire changer les choses. Elle parle du courage d’une jeune fille qui prend la parole pour dénoncer la violence et les injustices dont elle est témoin, alors même qu’elle pensait que sa voix ne comptait pas, n’avait pas d’importance.
Et puis au milieu du discours militant, il y a le quotidien banal d’une lycéenne et de ses proches, les moments où la normalité reprend le dessus. Le barbecue du dimanche, les fêtes d’anniversaires, les désaccords pendant les matches de basket. Tout au long du roman, on ressent de manière très forte l’amour qui unit Starr à sa famille ainsi qu’à sa communauté. J’ai trouvé les relations entre les personnages particulièrement bien écrites, leurs échanges, leurs discussions, leurs disputes sont riches, complexes et sonnent toujours vrai.
The Hate U Give est un roman dur et révoltant, mais porteur d’un message de force pour les personnes appartenant à des groupes opprimés.
Un jour, papa m’a raconté que tous les hommes noirs portaient en eux la colère de leurs ancêtres. Une colère datant du jour où ils n’avaient pas pu empêcher les esclavagistes de s’en prendre à leur famille. Il m’a aussi dit qu’il n’y a rien de plus dangereux que cette colère quand elle explose.
*
L’année de mes douze ans, mes parents on eu deux conversations avec moi.
La première, c’était sur les choux et les roses. Sauf que bon, je n’ai pas vraiment eu droit aux choux et aux roses. Ma mère, Lisa, est infirmière, elle m’a expliqué ce qui rentrait où et comment, et ce qui ne devait jamais rentrer ni là ni n’importe où ailleurs jusqu’à ce que je sois grande. […]
La deuxième conversation, c’était pour m’expliquer quoi faire si un flic me contrôlait.
Ça a énervé maman qui a dit à papa que j’étais trop jeune pour ça. Il a répondu qu’il n’y avait pas d’âge pour être arrêtée, ou se faire descendre.
[…]J’espère que quelqu’un a eu la même conversation avec Khalil.
Le Pouvoir Naomi Alderman
Au quatre coins du monde, les adolescentes développent un mystérieux pouvoir: d’une pression des doigts, d’un geste de la main, elles peuvent générer des décharges électriques tantôt inoffensives, tantôt mortelles. Tandis que le pouvoir se propage parmi la population féminine, que les jeunes filles le réveillent chez leurs aînées et que les femmes abolissent la domination masculine, les hommes réalisent qu’ils sont désormais le « sexe faible » et découvrent ce que c’est de vivre dans la peur constante.
Pendant dix ans, on suit l’évolution de la société et l’émergence d’un nouvel ordre politique et social à travers le parcours de plusieurs personnages: Roxy, une adolescente anglaise qui a grandi dans une famille mafieuse, une des première et des plus jeunes adolescentes à développer le pouvoir; Allie, une jeune orpheline qui a passé sa jeunesse à naviguer entre les familles d’accueil, victime de nombreux abus, qui grâce à ses nouvelles capacités se découvre une vocation spirituelle; Margot, maire ambitieuse d’une ville étasunienne; sa fille adolescente Jocelyn, dont le pouvoir se manifeste de manière instable et difficile à maîtriser; et Tunde, un aspirant journaliste nigérian, qui après avoir filmé et diffusé sur Internet une des premières manifestations du pouvoir décide de parcourir le monde pour documenter ce grand chamboulement de la civilisation humaine.
Voilà une lecture qui me laisse bien mitigée, et j’en suis au moins à la troisième version de cette critique, tant il me semble difficile de poser des mots sur mon ressenti qui a constamment évolué au cours de ma lecture.
J’ai trouvé la thématique du roman très intéressante et les premiers chapitres offrent des scènes vraiment jouissives. On voit des femmes se libérer de leurs entraves aussi bien physiques que mentales, prendre leur revanches sur leurs oppresseurs et leurs bourreaux, sur les hommes qui les exploitent, les maltraitent, les infantilisent, les sous-estiment. On se doute que la société va être complètement transformée par ce renversement soudain du pouvoir patriarcal qui ouvre tellement de possibilités, j’avais hâte de voir les chemins que Naomi Alderman choisirait d’explorer.
Mon avis détaillé (contient des spoilers sur l'intrigue)
La suite m’a plutôt déçue, à cause de l’étalage de violence gratuite auquel on assiste, mais surtout du propos cynique et pessimiste de l’autrice, que j’ai également trouvé très réducteur; peu importe qui détient le pouvoir, on s’en servira forcément pour commettre les pires atrocités. Dans cette nouvelle société, on assiste juste à une inversion pure et simple des rôles; les femmes ne construisent rien de nouveau, elles se contentent de reproduire de manière aveugle l’oppression qu’elles ont subie pendant des générations. J’ignore si c’est réaliste ou non. J’ignore comment se comporterait la majorité des femmes si du jour au lendemain notre force physique dépassait, de loin, celle des hommes. Je ne pense pas que les femmes soient, par nature, meilleures que les hommes, en revanche je ne suis pas convaincue que dix ans suffisent pour se défaire de centaines d’années de construction sociale basée sur le genre. Je doute que partout dans le monde, les femmes qu’on a éduquées à être douces et à s’occuper des autres n’attendent que l’éveil de leur force physique pour devenir à leur tour des meurtrières et des violeuses.
J’ai constamment alterné entre une lecture au premier degré que je trouve problématique à de nombreux égards – notamment parce que beaucoup de lecteurs et de lectrices ont l’air d’y voir une critique du « féminisme extrémiste » et des mouvements tels que #MeeToo et #BalanceTonPorc – et une lecture métaphorique qui me dérange pour d’autres raisons. Aucune des deux ne me satisfaisait réellement, j’ai trouvé le trait souvent trop forcé, la réflexion trop simpliste pour que la métaphore fonctionne, j’ai été plus souvent agacée par les choix scénaristiques qu’émue par le sort des personnages. Et je me suis demandé si on a vraiment besoin de lire un texte de fiction où les hommes sont infantilisés, objectifiés, dominés physiquement et moralement, violés, tués, pour mettre en avant ce que subissent les femmes dans nos sociétés patriarcales.
Et puis arrive l’épilogue, qui m’a complètement retourné le cerveau et qui apporte un éclairage que je n’avais pas du tout anticipé sur les 384 pages qui le précèdent. Le propos réel de l’autrice devient soudain limpide, exprimé de manière très claire dans le dernier paragraphe de la section « remerciements ». La réflexion amenée par ces huit dernières pages – huit pages sur presque 400 – est infiniment plus intéressante que la question de savoir si les femmes adopteraient le rôle de l’oppresseur à la première occasion. Dans ces huit pages, Naomi Alderman chamboule notre perception des rôles attribués aux hommes et aux femmes à travers les époques, questionne la construction de l’Histoire et ce que nous déduisons des civilisations qui nous ont précédées à travers le prisme de notre propre société. J’ai un regret toutefois: c’est amené de manière tellement subtile au fil du roman qu’on a vite fait de passer à côté, voir de considérer la mise en abyme de l’introduction et de l’épilogue comme un détail presque anecdotique.
Pour résumer: j’ai trouvé ce livre tour à tour fascinant, agaçant, brillant. Une lecture qui ne m’a en tout cas pas laissée indifférente et que je ne regrette pas, même si je pense que le potentiel du roman n’est pas complètement exploité – ce que je trouve vraiment dommage.
J’ai une suggestion, cela dit. Tu m’as expliqué que tout ce que tu fais est encadré et limité par ton genre, et que ce genre est aussi inéluctable qu’absurde. Chaque livre que tu écris est jugé à l’aune de ce qui constitue la « littérature masculine ». Aussi, vois ma suggestion comme une réponse possible – car elle n’est rien d’autre, je te l’assure – qui t’inscrirait dans une longue tradition. Bien des hommes ont trouvé là une issue à cette épineuse situation. Tu serais en très bonne compagnie.
Neil, je sais que cette suggestion risque de te sembler de très mauvais goût, mais as-tu envisagé de publier ce livre sous un pseudonyme féminin ?
Mes autres lectures
- Les Dames du Lac et Les Brumes d’Avalon, de Marion Zimmer Bradley
Un classique de mon adolescence que j’ai eu beaucoup de plaisir à relire à mon retour de Bretagne. Il s’agit d’une réécriture du mythe arthurien d’un point de vue féminin, celui de Morgane, Viviane, Igraine, Guenièvre, ces femmes habituellement présentées comme des sorcières haïssant les hommes du moment qu’elles ne se cantonnent pas à leur rôle d’épouse pieuse et fidèles. Ici, les sorcières sont des femmes qui cherchent avant tout à rester libres de leur destin, et à préserver leurs traditions et leurs croyances face à la normalisation du christianisme et du patriarcat. - Herding Cats, de Sarah Andersen
Les bandes-dessinées de Sarah Andersen sont toujours des petites pépites que je prends un plaisir très particulier à savourer. Les vignettes qui composent ses recueils traitent tantôt de sujets légers, tantôt de thématiques plus sérieuses, toujours avec humour et mignonnerie. Je ne sais pas si toutes les personnes de notre génération de jeunes trentenaires s’y retrouvent autant que moi, mais je fais clairement partie de ceux et celles qui s’exclament toutes les deux pages que « mais c’est ma vie là en fait ! ». Et la merveilleuse nouvelle c’est qu’on peut aussi lire ses notes sur Twitter ♥ - Planète Végane, d’Ophélie Véron
Un guide très complet si on s’intéresse aux mouvements végane et antispéciste, d’un point de vue aussi bien théorique que pratique. Je vous en parle plus en détail dans ce billet. - Miniaturiste, de Jessie Burton
En 1686, Nella Oortman a tout juste dix-huit ans lorsqu’elle est mariée à Johannes Brandt, un riche marchant amstellodamois deux fois plus âgé qu’elle. Elle quitte sa campagne natale pour emménager dans la grande maison de sa nouvelle famille, où elle est accueillie froidement par Marin, sa belle-sœur austère restée « vieille fille ». Peu présent et peu intéressé par sa jeune épouse, Johannes offre à cette dernière une maison de poupées vide qui semble être une reproduction de celle où ils vivent. Pour la meubler, Nella décide de faire appel aux compétences d’un miniaturiste avec qui elle communique exclusivement par courrier, et qui semble connaître des secrets que les Brandt tentent à tout prix de dissimuler.
Une lecture assez étrange et intrigante, qui m’a laissé tout du long l’impression que quelque chose m’échappait. J’ai trouvée intéressante la description d’Amsterdam au 17e siècle, et de la vie de cette classe de marchands qui étalaient leur richesse de manière parfois absurde tout en faisant preuve d’un profond puritanisme. L’atmosphère du roman est très particulière, empreinte de mystère lié aussi bien aux secrets que cachent les personnages pour se protéger qu’à des éléments surnaturels. Il y a quelque chose d’à la fois fascinant et de profondément triste dans l’histoire de cette famille confrontée au sexisme, à l’homophobie, au racisme, et à la sévérité religieuse de l’époque. - Un Noël à New York, d’Anne Perry
Une romance de Noël sur fond de vague enquête policière. C’était objectivement très mauvais, personnages en carton, intrigue sans surprise, romance pas crédible pour un sous. Mais allez, c’était le lendemain de Noël, j’avais du thé chaud et des biscuits, et cette lecture m’a pris maximum deux heures que je n’avais de toute façon pas prévu de consacrer à quelque chose de constructif. Et c’était un peu mignon quand même, dans le même style que les téléfilms de Noël.
6 commentaires
Cosmic Sam
J’ai beaucoup aimé « The Hate U Give » que j’ai trouvé addictif et émouvant (j’ai d’ailleurs hâte de voir le film). En revanche j’ai beaucoup moins accroché avec « Le pouvoir ». J’ai trouvé le rythme trop lent et le message de l’autrice peu clair…
Aline
J’ai hâte de voir le film aussi, d’autant plus que j’aime beaucoup Amandla Stenberg ! Par contre je crois qu’aucune date n’a été annoncée en Suisse (ou alors il est déjà sorti et je l’ai raté) 🙁
Le rythme du « Pouvoir » ne m’a pas dérangée, j’ai bien aimé l’alternance des points de vue et la manière dont l’intrigue se construit. Par contre j’ai trouvé qu’au final ça tombait un peu à plat, cet espèce de décompte qui n’aboutit pas à grand chose… Et je comprends tout à fait ce que tu veux dire à propos du manque de clarté du message de l’autrice. C’est dommage parce qu’il y a des idées vraiment intéressantes, mais je trouve que le roman aurait beaucoup gagné à ce que la réflexion sur les rôles attribués aux hommes et aux femmes dans l’histoire soit amorcée déjà dans le récit lui-même (je pense que c’est ce qu’elle a voulu faire avec les planches illustratives entre les chapitres, mais personnellement je suis complètement passé à côté du truc).
Nath
Merci pour cette chronique qui m’a donné grave envie de lire le bouquin de Mona Cholet, alors que j’étais encore hésitante 🙂
Aline
J’espère sincèrement qu’il te plaira ! 🙂
Marion Maillet
Aah, le dernier de Mona Chollet a vraiment énormément de succès, dès que je le trouve d’occas je le lis ! 🙂
« The Hate U Give » a l’air très, très dur, j’ai vu la BA du film et waouh, je ne sais pas si je suis prête pour lire cela … tu m’as bien fait sur le « Un Noël à New-York », je trouve qu’on a toujours besoin de temps en temps de décrocher des lectures militantes avec un bouquin pérave et mal ficelé, ça fait du BIEN ! Remarque, depuis que j’ai découvert l’autrice Fred Vargas, elle reste l’écrivaine chérie de mes journées détente : c’est beau, bien écrit, poétique, les personnages sont géniaux, l’intrigue est top, on y apprend foultitude de choses et c’est facile à lire <3
Aline
Ça me fait franchement plaisir qu’un bouquin avec des idées féministes aussi importantes rencontre un tel succès, que je trouve vraiment mérité. J’ai l’impression qu’il fait du bien à plein de femmes <3
C'est clair que "The Hate U Give" n'est vraiment pas une lecture facile – et je pense que certains passages doivent être d'autant plus durs à lire pour les personnes concernées par le racisme. Mais je trouve aussi que ce bouquin véhicule un message très fort et positif et j'ai beaucoup aimé cette lecture pour ça.
Il faut absolument que je redonne une chance à Fred Vargas. J'avais lu "Pars vite et reviens tard" il y a quelques années, j'avais bien aimé sans trouver ça incroyable non plus (et peut-être un peu trop classique à mon goût dans le style de narration). Il me semble que je n'avais pas tellement accroché aux personnages, mais c'est un peu le risque en commençant une série de romans en plein milieu.