De 2020, j’espère réussir à conserver l’habitude de prendre davantage de photos, d’illustrer le quotidien, surtout lorsqu’il est banal. De conserver une trace de ces instants qui se dérobent si vite à la mémoire.
J’aime revenir sur ces images, des semaines ou des mois plus tard. Me dire « la lumière était vraiment belle, ce jour-là », ou « tiens je referais bien ces petites brioches à la cannelle, ça fait longtemps ».
Observer les fragments de ces derniers mois, faire remonter la beauté et la douceur au milieu des émotions pas toujours heureuses qui m’ont habitée.
Un hiver en dent de scie, à l’image de l’année qui l’a précédé, mais en un peu pire quand même.
Je me souviens qu’en mars 2020, on a dit à ma grand-maman « C’est pas grave tu sais, si on ne peut pas fêter Pâques, il faut être prudent. On se rattrapera. On fêtera Noël. » On a dit pareil pour la Fête des Mères, et on y croyait pour de vrai. Que ça serait vite fini, l’affaire de quelques mois.
(j’y croyais tellement, en mars 2020, que j’ai pris des billets pour un festival de musique qui devait avoir lieu en juin suivant. LOL. L’édition de cette année vient tout juste d’être officiellement annulée)
Et puis Noël est arrivé et ma grand-maman a bien dû se faire à l’idée qu’elle ne réunirait pas ses enfants, petites-filles et arrière-petite-fille cette année. On s’est dépatouillé pour se voir autrement, en petit groupe, juste les grandes petites-filles, deux heures avec nos thermos de thé chaud sous la véranda. Je mesure bien sûr ma chance d’avoir pu passer ces moments avec ma famille, mais je garde quand même l’amère sensation que cette sale épidémie nous dérobe du temps qu’on ne rattrapera jamais.
En photo, comme toujours, il ne demeure de ce sombre hiver que les petites et les grandes joies qui saupoudrent le quotidien: les étoiles et les brioches à la cannelle; les plantes parées de loupiotes; le premier Noël de Lou ♥︎
Je nourrissais plein d’envies, pour ce début d’année 2021; après m’être bien reposée pendant ma première semaine de vacances, je prévoyais des balades dans la neige, peut-être des randonnées en raquettes, profiter du grand air, faire plein de photos.
Sauf que pas de bol, dans les tous premiers jours de janvier, je me suis (très vraisemblablement) cassé le petit orteil et je n’ai pas mis le nez hors de chez moi pendant un mois entier. Ça semble fort bénin, comme blessure, même pas vraiment une vraie blessure, mais ça a mis des semaines à se remettre; trois mois plus tard, je le sens parfois encore et je me demande bien pourquoi des millénaires d’évolution ne nous ont pas débarrassé de ces petits orteils maudits qui ne servent à rien d’autre que se les cogner dans des meubles.
Ajoutée à la pandémie qui s’éternise et à la petite déprime hivernale habituelle, cette rencontre malencontreuse entre mon pied droit et la porte de ma chambre a été LE petit truc de trop qui a fait déborder la coupe déjà bien pleine du ras-le-bol et chuter mon moral dans les abysses.
Il y a eu des larmes jaillies sans raison, parce que je m’ennuyais mais que je n’avais paradoxalement rien envie de faire. Des séries regardées pour la deuxième ou troisième fois, de manière un peu compulsive, pour essayer de mettre mon cerveau sur pause et parce que c’est réconfortant de retrouver des personnages et des univers familiers. La fatigue de ces journées toutes strictement similaires, de ces semaines qui se fondaient les unes dans les autres sans que je ne réussisse plus vraiment à les différencier.
Un mardi ronchon de début février, j’écrivais à une amie sur WhatsApp: « Heureusement que pour améliorer cette journée qui craint, j’ai trouvé l’enregistrement d’un concert acoustique de Billie Eilish sur Youtube <3 ». La vidéo en question a tourné en boucle sur mon ordinateur, cette semaine là, tout comme l’album de Billie Eilish tourne en boucle dans mon Spotify depuis plus d’un an (Spotify s’obstine encore à me suggérer d’autres artistes, il est pourtant bien placé pour constater l’étendue de ma monomanie musicale). Je crois que sa musique est à mon année 2020-21 ce que la musique de Sarah McLachlan fut à mon adolescence, et celle d’Émilie Simon à mon début de vingtaine, une sorte de refuge émotionnel et introspectif. Je crois que depuis un an, elle m’aide un peu à tenir le coup.
Après la première neige de décembre, il y a eu le grand froid de février et les merveilles éphémères sculptées par la nature. Ces photos glaciales ont pour moi une symbolique particulière: c’était ma première sortie seule, après plus d’un mois d’enfermement. Ma presque première balade de 2021, de courte durée car la seule pair de chaussures que je réussissais à enfiler n’était pas adaptée du tout aux températures du jour, et que j’avais encore perdu mes mitaines (je les ai heureusement retrouvées depuis, le premier jour où il a enfin fait moins froid, c’est bien malin).
Début mars, j’ai retrouvé les rives du lac de Neuchâtel par un samedi de grand vent, avec des vagues comme à la mer, et les Alpes qui se dessinaient, bien nettes, en-dessous de la chape de nuages. Le même après-midi, on a rencontré l’adorable petit neveu fraichement arrivé dans la famille de mon amoureux ♥︎
Toujours la douceur et la mignonitude absolue de mes petits amours, qui nous collent plus que jamais, et ne toléreront sans doute pas que nous retournions un jour travailler à l’extérieur de la maison (ok ça me va).
Un dimanche après-midi, prendre enfin le temps d’imprimer quelques cartes à partir d’une plaque de lino gravée pendant l’automne et de commencer à les envoyer à des personnes chères.
Ma pratique de la linogravure reste plus sporadique que je ne le souhaiterais, en partie par manque d’inspiration, en partie à cause de cette petite voix déplaisante qui me chantonne que ce que je fais est nul et sans intérêt; mais aussi parce que l’impression m’amuse beaucoup moins que la gravure en elle-même. Je réfléchis d’ailleurs de plus en plus à investir dans une petite presse qui rendrait cette étape un peu moins fastidieuse. La suite logique, c’est de rêver d’un vrai atelier où installer ce genre de matériel.
(dans l’atelier de mes rêves il y aurait notamment un IMMENSE évier où laver encre et peinture, histoire d’arrêter de redécorer ma salle de bains à chaque fois)
Observer les premiers signes, d’abord discrets, du retour du printemps: mes plantes d’intérieur qui semblent reprendre vie, après des mois à lutter contre l’air trop sec et les invasions de bestioles; le balcon laissé à l’abandon depuis l’automne, où des jeunes feuilles apparaissent spontanément là où rien ne daignait pousser l’année dernière.
Et bien sûr les premières petites fleurs, qui m’ont arraché des exclamations de joie peut-être encore plus enthousiastes cette année que n’importe quelle autre.
Et une poule, parce que pourquoi pas.
3 commentaires
Fileuse
Tes travaux de linogravure sont superbes !! Tu as beaucoup de talent, il faut que tu poursuive. C’est chouette d’avoir pu voir un peu ta famille malgré tout.
Je pense que la période est difficile pour tout le monde mais avec une douleur physique en plus, c’est particulièrement compliqué… Prends bien soin de toi.
Irène
Merci pour cette rétrospective toute en douceur ! J’aime toujours autant tes tirages lino
Marion Maillet
La pureté de ce texte, waouh <3 tu transmets si bien les émotions, belles ou néfastes, que tu as vécues … Le tout habillé par la beauté de tes clichés, j'ai passé un moment particulièrement "vrai" (les guillemets sont là pour insister et non pour atténuer) à te lire.
Des bisous !